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Comme les roches rêches et poudreuses de la montagne
La céramiste Jacinthe Brind’Amour conçoit et fabrique depuis maintenant 15 ans une gamme d’objets en céramique de facture contemporaine.
Jacinthe a généreusement, et avec cœur, répondu à notre petit questionnaire sur sa vie, son art, sa carrière. Je vous laisse la découvrir à travers cette entrevue!
De quelle région es-tu originaire?
Je suis née et j'ai vécu à Montréal mais je viens tout juste d'emménager dans la petite ville de Richmond, située entre Drummondville et Sherbrooke. C'est une ville bilingue vraiment accueillante, coupée par une rivière et bordée d'un chemin de fer.
Parle-nous un peu de ton parcours professionnel. Et de comment es-tu venue à la céramique?
J'ai eu un début de vie adulte qui a commencé tôt et qui a été très difficile. J'ai dû me débrouiller, j'ai connu la précarité, je jouais de la musique dans le métro pour survivre dès 16-17 ans. Lorsque ma fille est née, j'ai ressenti une urgence de devenir quelqu'un au plus vite et j'ai tout de suite connecté avec mon rêve le plus ancien, celui de devenir potière. J'avais vu une petite séquence de poterie dans l'émission passe-partout et ces images avaient suscité une curiosité en moi qui ne s'était jamais flétrie. J'ai donc décidé de m'inscrire au DEC, avec mon bébé d'un an à l'époque.
Mon parcours professionnel a donc commencé comme ça, en me disant que je devais vraiment aller vérifier quelque chose avant d'être raisonnable, d'être rangée, de m'occuper de mon enfant comme les autres parents. Finalement, j'ai juste continué et je n'ai jamais été « rangée » autrement qu'en faisant grandir ma petite entreprise.
J'ai toujours eu besoin de sentir que ce que je faisais était réel, de le toucher, de le transmettre. Je suis quand même restée très longtemps avec la sensation qu'un jour j'allais devoir me trouver « une vraie job ». Et je dois avouer que ce n'est que tout récemment que j'ai compris que mon travail était « une vraie job » en constatant que ça allait faire déjà 15 ans que je construisais tout ça petit à petit, à partir de rien,vous ne pouvez donc pas imaginer à quel point j'étais fière de réaliser la capsule de la nouvelle mouture de Passe-Partout et ce que j'ai pu ressentir quand mes enfants l'ont regardée!
Quelques mots sur ton environnement de travail…
Je travaille seule, c'est une question d'équilibre. Comme je suis cheffe de famille avec 2 jeunes enfants bruyants, il faut vraiment que je me recharge en solitude. Je travaille au 2e étage de ma maison.
Comment définirais-tu ton style? Comment s’est-il imposé?
Je ne saurais définir mon style, à part qu'un petit quelque chose doit venir casser l'objet pour qu'il me plaise. J'aime qu'on sente la main de l'artisan sur la pièce, même si elle est parfaitement exécutée. Ainsi, je prendrai soin de laisser un défaut volontairement, une signature ou une marque de la main.
Y a-t-il des designers qui t’ont inspiré en particulier? Et pourquoi?
Ce qui m'inspire le plus, ce ne sont pas vraiment les designers, c'est souvent un regard vers le passé. Aller dans les bazars, les boutiques seconde-main ou les visites chez nos aînés sont ma véritable source d'inspiration. Lorsque je tombe sur des pièces comme des vieilles assiettes à fondue des années 70 avec des glaçures qui défient toutes les conventions actuelles, ma réaction est toujours « avant on avait le droit de faire ça? », « pourquoi on n'a plus le droit? » et tout de suite après il me vient « je veux faire des choses comme ça !! ». C'est plus fort que moi.
Questionner les stéréotypes est toujours mon moteur de création. Ensuite, je réinterprète cette transgression des normes mais avec des lunettes plus contemporaines et une recherche d'une fluidité dans le travail.
Et comment te vient l’inspiration?
De diverses façons, souvent à travers un rêve ou une vision et parfois en visitant comme dit plus haut les encans ou les commerces d'objets de seconde main.
Quelle sorte de terre et technique privilégies-tu?
En ce moment la terre que j'utilise est le grès pyrité. Le travail de la terre est une grande partie de mon travail. Je passe au moins une semaine par trimestre à préparer mon argile, que je recycle dans un souci de travailler plus en harmonie avec l'environnement. Je refuse de jeter mon argile résiduelle, car c'est un élément noble et plus précieux qu'on pense. La récupération de l'argile demande temps, force, espace, nettoyage, c'est vraiment laborieux. Mais je considère que cela fait partie de la vie du potier, j'embrasse la démarche complète, le mode de vie, la philosophie qu'entraîne ce travail-là. Il n'y a pas d'économie d'argent dans le recyclage de l'argile, mais ça me permet quand même d'y ajouter des ingrédients secrets, ce qui donne un cachet supplémentaire à chacune de mes pièces et les rend uniques.
Ma technique de prédilection est le tournage. J'ai eu beaucoup de mal à apprendre à tourner. Pendant mon parcours scolaire, j'étais dans une cohorte de haut niveau avec des personnes qui avaient beaucoup plus d'expérience que moi. J'ai galéré, mais les difficultés que j'ai rencontrées m'ont permis de bien enseigner le tournage pendant une dizaine d'années. Comme j'avais rencontré chaque difficulté possible, je pouvais bien les identifier et les expliquer à mes étudiants. Maintenant, c'est pour moi la technique la plus efficace, qui me permet de produire en grande quantité et j'adore ça, je ne pourrais pas m'en passer, c'est l'élément de mon quotidien qui me satisfait le plus et qui m'apporte le plus d'équilibre.
Tu veux bien nous raconter l’histoire de tes pièces?
Mes pièces naissent à la fois dans le processus de fabrication et dans mon univers personnel. Les nouvelles formes et concepts sont toujours générés par le plaisir de les fabriquer. Je désire que chaque étape de fabrication soit fluide, car j'aurai à reproduire ces étapes une multitude de fois. C'est dans cet esprit que j'ai conçu mes anses, par exemple, qui sont maintenant propres à mes tasses et à mon style. Donc, je pars vraiment du geste de fabrication et je l'amène dans mon processus de création complet. Je me pose la question, ce geste que j'aime faire, comment puis-je le faire grandir sur toute une collection?
Mon univers personnel, lui, change constamment, j'ai été beaucoup inspirée par le passé par les contes et les objets souvenirs, mais pendant la pandémie, pandémie qui est arrivée en même temps que la naissance de ma petite dernière, j'ai passé beaucoup de temps très isolée, avec mon bébé sur le divan à la nourrir. J'ai regardé beaucoup de documentaires sur les alpinistes et les gens qui pratiquent l'escalade. J'ai fait beaucoup de liens entre cette passion-là et la mienne. Nous avons une force en commun qui nous pousse à continuer, à s'entraîner, seuls, dans un but qui est très difficile à définir et à décrire. Nous sommes animés par quelque chose qui nous dépasse. Et en passant tout ce temps à observer ces parois rocheuses et cette nature hostile à l'homme, j'ai commencé à imaginer des pièces qui reproduisent ces environnements-là. J'ai passé des heures à fabriquer des glaçures qui reproduisent ces textures minérales de roches rêches et poudreuses pour les offrir à des objets aussi communs que sont la tasse et le bol de tous les jours. Cela me faisait penser qu’on pourrait avoir un morceau de cette nature hostile et émouvante-là dans nos maisons, tous les jours. Je continue actuellement ces recherches pour ajouter une touche volcanique à mes créations.
Y-a-t ‘il d'autres médiums que tu aimerais toucher?
À temps perdu, j'aime dessiner et peindre à l'aquarelle. J'aimerais apprendre à fabriquer du papier, c'est une matière qui m'attire.
Comment ton métier a-t-il changé au cours de ta carrière?
J'ai grandi dans les années 1990-2000, j'ai donc été grandement influencée par la culture « no future » pré 2000. En partant, le choix de ce métier, à l'époque où je l'ai fait, était très "no future", déjà par la présence de la crise économique de 2008, mais aussi, car cette culture représente une conception du vivre au présent très incarnée. Aujourd'hui, cela semble apporter un contraste immense avec la perception actuelle du métier de potier, car il est beaucoup plus valorisé et passe par le prisme de l'image, du boho et des valeurs actuelles. Cette image est également propulsée par les réseaux sociaux et la vie virtuelle. Cela nous apporte beaucoup d'avantages par rapport à la visibilité mais nous apporte aussi une pression supplémentaire. Ce métier aux valeurs de vivre le moment présent rime maintenant avec concurrence et mise en valeur à l'excès. Récemment, j'ai même lu qu'être céramiste est une profession élitiste, je suis vraiment tombée en bas de ma chaise, car c'est un renversement complet de ce que j'ai pu vivre pendant les 10 premières années de ma carrière où l'évocation de mon métier était un sujet gênant à éviter devant la belle-famille.
D'une certaine façon on pourrait donc avancer que l'image de vivre au présent a su avantager les artisans de la beauté de l'objet ou des arts décoratifs. Apporter le prestige et une économie à ce qui existait déjà, mais qui attirait des personnes plus enclines aux travaux manuels et à un mode de vie éphémère est certainement la meilleure chose que je pouvais souhaiter, car maintenant ma passion est connue, admirée et désirée par tous. Il faut simplement rester ouvert et savoir s'adapter rapidement, car tout change si vite.